A part les Etats-Unis, aucun pays ni aucune ONG n’a davantage contribué au budget de l’OMS sur l’exercice 2018-2019.
La Fondation Bill et Melinda Gates a procédé à 37 versements à l’OMS en 2019, pour un montant total de 194 millions de dollars. Cette influence est aussi indirecte, puisque l’ONG investit dans de nombreux pays (comme le Nigeria) ou des organisations (comme l’alliance GAVI pour la vaccination mondiale, les programmes de développement des Nations unies ou, par le passé, le National Philanthropic Trust) qui figurent parmi les principaux donateurs minoritaires au budget de l’OMS.
- Une influence sur la santé mondiale qui pose question
Cette philanthropie massive ne va pas sans poser de problèmes de principe. Celle-ci « devrait être soumise à un droit de regard des Etats et des citoyens, tant son pouvoir est grand et sa menace lourde sur nos démocraties », alerte Lionel Astruc, auteur de l’enquête L’Art de la fausse générosité. La Fondation Bill & Melinda Gates (Actes Sud, 2019).
Ce journaliste et écrivain accuse le milliardaire d’avoir acquis un poids critique qui lui permet de peser en faveur de certaines de ses convictions, comme l’agriculture OGM ou la vaccination massive, au détriment de remèdes naturels. Il estime aussi que l’engagement extrême de la fondation Gates dans l’éradication de la poliomyélite relègue au second plan la nécessaire lutte contre d’autres maladies plus répandues, comme la rougeole.
Enfin, la fondation Gates finance des programmes de lutte contre la famine et la malnutrition qui passent par des modèles d’industrialisation destructeurs pour l’environnement, épingle le groupe international d’experts indépendants sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food).
CE QUI EST EXAGÉRÉ
- Gates n’est pas « propriétaire » de l’OMS
Dire que Bill Gates est « propriétaire de l’OMS » relève au mieux de l’hyperbole, au pire du fantasme. D’un point de vue juridique d’abord : l’OMS est une organisation supranationale qui dépend de ses Etats membres, avec un statut d’institution spécialisée des Nations unies, selon sa Constitution.
D’un point de vue financier également, il s’agit d’une assertion exagérée. Même en additionnant toutes les autres fondations qu’elle finance, que ce soit de façon notable (l’alliance GAVI, à hauteur de 19,7 %) ou anecdotique (Rotary International, à qui elle a juste versé 25 000 dollars), la « galaxie » de la fondation Gates représente moins de 25 % du budget total de l’organisation, et n’est donc pas majoritaire – même si son poids reste considérable.
Résumer l’OMS à la fondation Gates occulte la complexité de la gouvernance de l’agence de l’ONU. Le poids pris par le couple de milliardaires est ainsi, en creux, le révélateur du désinvestissement des Etats eux-mêmes, dans un contexte de crise du multilatéralisme.
Par ailleurs, comme l’a montré la crise due au coronavirus, les rapports de pouvoir au sein de l’OMS relèvent d’une géopolitique subtile, qui ne reflète pas uniquement la part des participations budgétaires. L’agence des Nations unies a ainsi été accusée d’être très proche de la ligne chinoise durant la pandémie, alors que le pays où est apparu le SARS-CoV-2 ne représente que 0,21 % de ses comptes.
« Bill Gates a prédit la pandémie »
Ce qui circule
Le milliardaire philanthrope aurait prophétisé l’arrivée du nouveau coronavirus, voire créé le SARS-CoV-2. Cette rumeur apparue à la fin de janvier a connu un regain d’intérêt au printemps à travers les allocutions virales d’une députée italienne, exclue du Mouvement cinq étoiles (parti antisystème), qui accusait Bill Gates de crimes contre l’humanité.
Bill Gates est également accusé d’avoir financé un institut de recherche britannique détenant le brevet du coronavirus responsable du Covid-19. Une personne sur huit pense que le milliardaire américain a eu un rôle dans la création du virus, selon un sondage australien.
CE QUI EST VRAI
- Bill Gates avait alerté sur le risque d’une pandémie
En 2015, à l’occasion d’une conférence TED, Bill Gates alerte sur le fait que « nous ne sommes pas prêts pour la prochaine pandémie », en prenant pour preuve l’impréparation des Etats et des institutions scientifiques et sanitaires lors de la dernière apparition d’une épidémie d’Ebola.
Il décrit le profil d’une maladie qui serait plus dangereuse : un virus aérien, avec une période d’incubation asymptomatique mais contagieuse, comme la grippe de 1918. Une menace connue des épidémiologistes depuis l’épidémie de SRAS, en 2002-2003.
Quatre ans plus tard, le centre américain Johns-Hopkins, qui mène des études financées par le gouvernement et des mécènes privés comme la Fondation Bill et Melinda Gates, organise un exercice de simulation de « pandémie fictive de coronavirus » appelé « Event 201 », réunissant des décideurs mondiaux et des épidémiologistes, afin de réfléchir à une réponse coordonnée en cas d’apparition d’un nouveau virus.
- Un brevet de vaccin sur un coronavirus existe
La fondation du cofondateur de Microsoft finance bel et bien le centre de recherche britannique Pirbright, connu pour le sérieux de ses travaux épidémiologiques. Et celui-ci a déposé en 2015 un brevet portant un vaccin contre un coronavirus.
CE QUI EST FAUX
- Simuler n’est ni prédire ni créer
Bill Gates n’est pas Nostradamus. Lors de sa conférence TED, il évoquait le risque d’une épidémie pouvant causer 10 millions de morts ; le bilan du Covid-19 est pour l’instant à moins de 500 000.
L’« Event 201 » aussi diffère de la réalité. La simulation imaginait une épidémie touchant de nombreux pays dans le monde, mais son épicentre se trouvait dans une porcherie au Brésil, non dans un marché chinois. Par ailleurs, cet événement ne constituait pas une prédiction, ont rappelé ses organisateurs.
- Un coronavirus aviaire sans rapport
Le brevet de l’institut Pirbright concerne des coronavirus affectant les animaux, en l’occurrence le virus de la bronchite infectieuse aviaire (IBV), qui affecte les poulets, et non pas les humains, comme le SARS-CoV-2.
« Bill Gates utilise les vaccins pour réduire la population mondiale »
Ce qui circule
A travers sa politique vaccinale, Bill Gates viserait, selon ses détracteurs, à réduire la population mondiale. Plusieurs sites et publications évoquent des effets secondaires pouvant aller jusqu’à la mort de 700 000 personnes pour le vaccin du Covid-19, citent 500 000 paralysies et même de nombreux décès au Pakistan, ou encore l’accusent d’avoir introduit l’autisme au Vietnam, ou encore d’avoir stérilisé des millions de femmes en Afrique.
Ce qui est vrai
- Une volonté de contrôler la croissance démographique
Bill Gates finance depuis les années 1990 des actions portant sur le contrôle de la croissance de la population mondiale, d’abord par le planning familial et l’accès à la contraception, puis dans les années 2010, par l’amélioration des chances de survie des nouveau-nés et de l’espérance de vie des enfants dans les pays pauvres.
Le raisonnement du milliardaire, retracé dans un article du site de vérification Snopes, est le suivant : le niveau de vie des pays pauvres s’améliorera grâce à l’accès des femmes à l’éducation. Une évolution impossible dans les pays à la forte mortalité infantile, où les femmes enchaînent les grossesses et donnent naissance à des familles nombreuses pour compenser le faible taux de survie. Or « si une mère et un père savent que leur enfant vivra jusqu’à l’âge adulte, ils commencent à réduire naturellement la taille de la population » en enfantant moins, expliquait Melinda Gates en 2011, ce qui libère du temps pour les femmes.
C’est pour cette raison que la Fondation Bill et Melinda Gates finance massivement les programmes de l’OMS pour améliorer la santé des femmes, des nouveau-nés et des enfants, ainsi que la lutte contre la poliomyélite et le paludisme, deux maladies qui touchent les enfants.
La fondation est particulièrement investie dans la lutte pour l’éradication de la poliomyélite dans le monde. « C’est l’une de nos priorités absolues », expliquent Bill et Melinda Gates. Ce combat pour mettre fin à cette maladie encore présente dans certains pays, comme le Pakistan, le Nigeria ou l’Afghanistan, passe par l’initiative Global Polio Eradication Initiative (GPEI) créée en 1988 et financée en partie par le couple Gates.
- Les vaccins peuvent avoir des effets secondaires
Un éventuel vaccin contre le SARS-CoV-2 (qui n’existe pas aujourd’hui) pourrait avoir des effets secondaires, comme n’importe quel médicament. Certains cas spectaculaires sont à l’origine d’une partie de la défiance contemporaine pour la vaccination. En 1995, 32 enfants en Angleterre ont été atteints de méningite virale après avoir reçu le vaccin contre la rougeole. L’enjeu pour les industriels et les professionnels de la santé est de s’assurer que ces effets secondaires non voulus soient les plus rares et mineurs possibles.
« On surveille ceux-ci à partir de l’autorisation de mise sur le marché. Si on observe un nombre anormal d’effets indésirables, on tire la sonnette d’alarme », explique au Monde Mounia Hocine, présidente de la Société française de biométrie, spécialiste du suivi des effets indésirables des vaccins.
Au début d’avril, le milliardaire américain expliquait justement qu’il fallait faire attention, dans le cadre du développement d’un vaccin en vitesse accélérée comme celui du Covid-19, aux effets secondaires, qui statistiquement, si l’on vaccine plusieurs milliards de personnes, peuvent affecter des centaines de milliers d’entre elles.
- De rares cas de poliomyélites liées (indirectement) à la vaccination
La paralysie est l’une des complications possibles de la poliomyélite, maladie en voie d’éradication. Dans certaines situations très spécifiques, la politique de vaccination a paradoxalement pu mener à l’apparition de nouveaux cas.
Une des explications tient à la coexistence de deux types de vaccins contre la poliomyélite, dont l’un, l’OPV (pour « vaccin polio oral »), moins cher et plus facile à administrer, contient une souche atténuée et non inactivée du virus. Or la souche, expulsée du corps dans les excréments après la vaccination, peut se retrouver en contact de l’environnement dans les pays en voie de développement ne disposant pas de système de tout-à-l’égout, muter et redevenir virulente (et donc engendrer des paralysies).
CE QUI EST FAUX
- Une politique qui n’a rien de « génocidaire »
Bill Gates n’a jamais parlé de réduire la population mondiale, encore moins de tuer qui que ce soit. Les nombreux propos qui lui sont attribués en ce sens ont été déformés ou mal compris. Tout est parti d’une conférence TED à laquelle le philanthrope avait participé en 2010. Bill Gates avait déclaré précisément ceci : « Le monde compte aujourd’hui 6,8 milliards de personnes. On devrait atteindre 9 milliards. Avec de très bons résultats sur les nouveaux vaccins, les soins de santé, le contrôle des naissances, on pourrait le réduire de, peut-être, 10 ou 15 %, mais on gardera un facteur d’augmentation d’environ 1,3. » C’est le facteur d’augmentation, c’est-à-dire la dynamique de croissance de la population, qu’il déclare vouloir réduire, non la population elle-même.